Un capitaine doit toujours couler avec son navire. Cela tombe bien, Eric Ciotti n’est pas capitaine. Et son nouveau parti, allié du Rassemblement national, tient bien à le souligner : lui n’a rien à voir avec la condamnation de Marine Le Pen et de la vingtaine cadres frontistes dans l’affaire des assistants parlementaires européens du parti d’extrême droite.
Bien sûr, les représentants d’UDR (la formation d’Eric Ciotti) étaient présents, dimanche 6 avril, au meeting de soutien organisé place Vauban. L’ancien président des Républicains a pris la parole pour dénoncer ce "procès politique", dans une diatribe rappelant son allocution au Trocadéro, quand il soutenait encore François Fillon dans la course à la présidentielle en 2017. Marine Le Pen a d’ailleurs pris la peine d’aller remercier personnellement les députés alliés venus lui témoigner leur sympathie.
"Il n’y a pas d’enjeu de différenciation, parce que nous sommes différents"
Les mêmes, quelques jours plus tard, prennent bien soin de s’en différencier. Et dans cet exercice de singularisation, le "nous" de l’alliance se troque aisément contre un "ils". "Ils ont été très bien dimanche, très pro, assure un membre de l’UDR. Nous, nous avons dit ce que nous voulions dire. Nous avons parlé de notre famille, des gaullistes. C’est ce que nous disions déjà avec Fillon." Et de préciser : "Il n’y a pas d’enjeu de différenciation, parce que nous sommes différents."
La place d’allié est confortable. Elle permet d’épauler sans se mouiller. "Nous, nous ne sommes pas concernés par cette affaire, clarifie encore un stratège. Ça nous permet d’avoir du recul pour leur proposer des solutions." Une solution, en particulier, dégainée la semaine dernière par Eric Ciotti : l’inscription d’une proposition de loi dans la niche UDR du 26 juin visant à supprimer l’exécution provisoire dans les condamnations d’inéligibilité. En cours de rédaction, elle sera le premier des textes soumis au vote lors de la niche. Mais au RN comme chez les ciottistes, on se fait peu d’illusions sur son issue. "Bien sûr, on connaît le risque : que cette loi soit estampillée 'loi Le Pen', concède un député. Donc même si beaucoup d’élus auraient intérêt à ce qu’elle soit votée, ça reste un gros facteur bloquant." Le texte apparaît ainsi plutôt comme une caution de fidèle allié que comme une véritable chance de faire sauter l’exécution provisoire pour Marine Le Pen.
"Ils ne seraient jamais venus à un événement du RN"
Et l’UDR a aussi son propre agenda. Ce mardi 8 avril, les ciottistes organisaient leur second forum "des libertés" autour de la question fiscale. Sujet sur lequel il existe encore de nombreux désaccords avec la formation lepéniste. "Ce sera avec des intervenants de grande qualité, vendait encore mardi matin un cadre du parti. Très pro, très différent du RN, et ça tombe bien. C’est le en même temps : la loyauté et la différenciation dans l’alliance !" Pierre Gattaz, ancien président du Medef, et Amir Reza-Tofighi, président de la CPME, étaient présents aux côtés d’Eric Ciotti. "Ils ne seraient jamais venus à un événement du RN", se rengorge un député UDR.
Les alliés de Marine Le Pen restent persuadés que leur plus-value réside dans leur ligne économique. Et ont conscience de ne pas peser sur cette question au sein de la coalition, où le RN seul dicte la ligne. "Il est normal que dans une alliance, le parti le plus fort prenne les décisions majeures, se résigne un élu. Mais il faut aussi saisir les occasions de faire entendre notre voix." Il reste d’ailleurs chez certains de ces élus venus de la droite une forme de mépris à l’égard de la ligne frontiste, considérée comme "socialiste" sur la question économique. "Ils savent très bien qu’ils ne pourront pas tenir pour la présidentielle sur les retraites par exemple, et ils ont commencé à infléchir leur position, on l’a vu. La raison et les compétences en la matière se situent de notre côté."
Sauve qui peut
De vieux réflexes ont la vie dure. Évoquant la rédaction de propositions de loi ou le travail technique mené dans l’hémicycle, un haut gradé raille: "C’est simple, c’est nous qui nous en occupons !" Avant de se reprendre : "Enfin, aujourd’hui ça évolue au RN, il y a en coulisses des gens compétents, qui n’étaient pas là avant." Loyauté et différenciation. Sauf que désormais les sorts des deux formations politiques sont intrinsèquement liés. Car en cas de naufrage, il existe une seconde règle : celle du sauve-qui-peut.