FRANK BERNARD (1927-1996)
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Né à Paris d'un père avocat, Bernard Frank avait commencé des études de droit, avant de se tourner vers l'orientalisme à l'École des langues orientales, où il apprit le chinois et le japonais, puis à l'École pratique des hautes études. Entré au C.N.R.S. en 1951, il profita d'un séjour de trois ans à la Maison franco-japonaise de Tōkyō de 1954 à 1957 pour s'affirmer comme un des meilleurs japonologues de sa génération. Il devait d'ailleurs rester très attaché à la Maison franco-japonaise dont il fut le directeur de 1972 à 1974. Si Bernard Frank est mondialement connu comme un des grands maîtres des études bouddhiques, il s'est aussi intéressé à de nombreux aspects de la civilisation japonaise dont il connaissait admirablement la littérature. Il a ainsi donné une belle traduction de la nouvelle de Shichirō Fukazawa, Narayama, avant de rendre accessible à un large public les « histoires qui sont maintenant du passé » dans une édition publiée en 1968. Il avait d'ailleurs un goût particulier pour certains aspects des traditions japonaises qui pouvaient nous paraître un peu étranges et mystérieux. Par exemple, sa première recherche publiée en 1958 s'intitulait Étude sur les interdits de direction à l'époque Heian et traitait des prohibitions de déplacement imposées par une symbolique complexe des lieux, fastes ou néfastes suivant le cas.
Très vite le bouddhisme japonais, notamment le grand courant de pensée de l'école Shingon, devenait le terrain de ses recherches. Mais il ne se limita pas comme beaucoup d'historiens des religions à une exploration minutieuse des textes sacrés ; il porta en effet une attention particulière à la riche iconographie du bouddhisme japonais, sans se laisser limiter par les critères de l'histoire de l'art. Pour lui un grand chef-d'œuvre d'un temple prestigieux et une humble icône d'un sanctuaire populaire apportaient chacun leur lot d'informations qu'il convenait d'analyser et de comprendre. Souvent, d'ailleurs, ses recherches sur des œuvres négligées par les spécialistes lui ont permis de mettre en lumière de très importants phénomènes de la pensée religieuse japonaise.
Un véritable tournant dans sa carrière de chercheur sera sa rencontre, à Paris, avec l'œuvre d'Émile Guimet et tout particulièrement les centaines de pièces bouddhiques et shintō que celui-ci avait rapportées d'un voyage au Japon en 1876. Ces œuvres, après avoir été au cœur des présentations du musée Guimet du temps de son fondateur, connurent, après sa mort, le chemin de l'exil vers d'obscures réserves. Bernard Frank se rendit compte immédiatement que cet ensemble réuni par l'industriel lyonnais, selon des critères purement iconographiques, apportait un éclairage unique, sans équivalent au Japon même, sur la diversité et la richesse des croyances religieuses. Bernard Frank mena un long combat pour qu'une partie de cet ensemble formant un véritable panthéon bouddhique puisse revoir le jour dans une présentation véritablement scientifique. Ses efforts devaient aboutir lorsqu'en 1991 furent inaugurées les galeries du panthéon bouddhique d'Émile Guimet dans un bâtiment annexe du musée Guimet au 19, avenue d'Iéna. À cette occasion, Bernard Frank écrivit un catalogue : Le Panthéon bouddhique du Japon-collections d'Émile Guimet, édité par la Réunion des musées nationaux. en 1991, qui est aujourd'hui l'ouvrage de référence sur l'iconographie bouddhique japonaise. Bernard Frank pouvait alors montrer à un public beaucoup plus large que celui de ses étudiants que le panthéon bouddhique japonais n'est pas l'illustration d'un polythéisme pur et simple mais bien plutôt l'expression de la richesse d'une pensée où « le Multiple ne diffère pas de l'Un ». Son travail en collaboration avec les conservateurs du musée Guimet a aussi permis la découverte, parmi les œuvres rapportées par Émile Guimet, essentiellement de l'époque Edo (xviie siècle-première moitié du xixe siècle), d'une belle série de pièces anciennes remarquables, dont une statue ayant appartenu à une triade du xiiie siècle du sanctuaire central du temple Hōryūji, près de Nara.
On pourra beaucoup regretter que les circonstances n'aient pas permis à Bernard Frank de continuer à publier toute la documentation importante qu'il avait patiemment réunie, notamment dans le domaine des imageries religieuses. Mais, au cours de sa vie, il avait donné la priorité à son enseignement, d'abord à l'École pratique des hautes études, puis à l'université de Paris-VII et, à partir de 1980, au Collège de France où il était titulaire de la chaire de civilisation japonaise. Cet enseignement, malgré parfois la difficulté des sujets abordés, était toujours remarquable par la clarté et la profondeur d'un propos qu'il savait parfois nuancer d'une touche d'un humour toujours bienveillant.
Bernard Frank était, depuis 1983, membre de l'Institut (Académie des inscriptions et belles lettres) et membre étranger de l'Académie du Japon. Pour marquer leur estime à l'égard de ce grand savant, les autorités religieuses du temple Tōji à Kyōto, un des temples avec lesquels Émile Guimet avait eu des rapports privilégiés, lui ont décerné, au cours d'une cérémonie marquant le quarantième jour de sa disparition, une des plus importantes dignités posthumes jamais accordée à un laïc, associant à son nom la mention de Hensho Kongō, « foudre-diamant (vajra) lumineux », un des principaux titres de Kōbo-daishi, fondateur au début du ixe siècle de la secte shingon.
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Écrit par
- Jean-François JARRIGE : directeur du Musée national des arts asiatiques-Guimet
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