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ILLUSTRATION

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Le mot illustration, nom de l'hebdomadaire « à images » fondé en 1843 par Paulin, Johanne et Charton, peut désigner autant un survol de l'histoire du livre illustré qu'un bilan méthodologique sur un domaine d'études, le texte et l'image, apparu dans les années 1870 et dont la dénomination varie. On parle parfois, par exemple, d'iconotexte (colloque de Clermont-Ferrand, printemps de 1988), terme par lequel Michael Nehrlich souhaitait caractériser l'ensemble des travaux en cours sur le texte et l'image, aussi divers par leur extension chronologique que par celle des corpus et des méthodes. À l'ambiguïté de la notion d'illustration s'ajoute la polémique qui entache un terme problématique, tantôt vilipendé parce qu'il définirait un genre mineur, fondé sur la dépendance littérale de l'image par rapport au texte, tantôt valorisé parce qu'il permettrait la saisie de nouvelles interrogations à la croisée de l'histoire de l'art et de la gravure, de l'histoire littéraire et de l'histoire du livre. L'approche ici retenue sera fondée sur l'itinéraire de cette notion depuis la « révolution de l'image du xixe siècle », dans la langue française. Utilisée dans le sens d'image gravée associée à un texte imprimé sur un support en papier, cette notion se développe tout au long du romantisme et du réalisme, pour être contestée dans le dernier quart du xixe siècle, remise en cause tant par les applications de la photographie que par l'esthétique de l'art pour l'art et le livre de peintre.

Au xxe siècle, les champs d'application des images d'illustration restent nombreux et accompagnent l'émergence de nouveaux supports qui donnent lieu à la « troisième révolution du livre ». Le livre illustré surréaliste recourt à la photographie, le rôle des revues est important, tandis que le livre d'art devient un « musée imaginaire » qui répond à la dispersion des œuvres dans les musées et collections du monde entier. Il sera question, moins de l'ensemble des aspects susceptibles d'être abordés à ce propos que du domaine du livre de peintre et de ses mutations jusqu'au xxie siècle : là aussi, les dénominations sont variées, du « livre d'artiste » à l'artist book, au « livre de dialogue » ou au « livre de création ».

Fortunes d'un mot

En 1931 paraissait L'Art du livre en France des origines à nos jours, par Frantz Calot, Louis-Marie Michon et Paul Augoulvent ; en 1984, L'Illustration. Histoire d'un art, par Michel Melot : ce glissement de titres, pour traiter du même sujet à un demi-siècle d'intervalle, est très significatif.

Acceptions récentes

Les connotations négatives de l'illustration trop « llustrative » se sont effacées, et il n'y a plus à occulter un mot qui est redevenu celui d'un art à part entière. Ce renversement peut être daté, entre 1968, date de la publication du Livre romantique de Jean Adhémar et Jean-Pierre Seguin, qui élude l'adjectif « illustré », et 1971, lorsque paraît l'ouvrage de Gérard Bertrand, L'Illustration de la poésie à l'époque du cubisme, 1909-1914... Dans cette encyclopédie même, c'est un article intitulé « Art du livre » qui a eu pour tâche de retracer l'histoire du livre illustré : il serait inutile d'en proposer un doublon.

Pourtant, le changement de label n'est pas insignifiant : l'art du livre, dans l'avertissement de Frantz Calot, met « à la portée du grand public un chapitre important de l'histoire des arts, jusqu'alors un peu négligé hors du cercle étroit des bibliophiles et des érudits », en l'initiant aux « chefs-d'œuvre de la typographie, de l'illustration, de la miniature et de la reliure » ; le propos est donc de faire entrer dans l'histoire de l'art celle des chefs-d'œuvre de la bibliophilie, dont l'illustration n'est qu'un élément, à côté de la reliure et de la typographie. C'est d'emblée une question autre que soulève auprès du même public le livre de Michel Melot : « au-delà des énumérations et des anthologies bibliophiliques, cet ouvrage cherche à comprendre comment, à chaque époque, s'est fondé le rapport entre le texte et l' image » ; en un vaste parcours qui mène du manuscrit enluminé à l'iconothèque de l'ère informatique, ce qui était une histoire de la création bibliophilique se déplace vers une typologie des signes, « analysant les complicités et les concurrences du texte et de l'image aussi bien dans la confusion du pictogramme que dans la séparation radicale de l'art classique, dans les équivoques de la calligraphie que dans les „correspondances“ romantiques ». D'abord confinées aux frontières des filières universitaires, ou offertes en terrain d'exercice aux voies de la sémiologie, les études sur le texte et l'image prennent une importance croissante dans la mesure où elles fondent maintenant l'archéologie de l'audiovisuel. L'illustration ainsi comprise ne se rapporte plus seulement au livre, mais aux multiples supports du texte et de l'image, de l'affiche au grand art, comme le rappellent le bel essai de Michel Butor Les Mots dans la peinture (1969) ou l'ouvrage de David Scott, Pictorialist Poetics (1988).

Définitions anciennes

L'illustration au sens strict, qui sera traitée ici, joue un rôle exemplaire par rapport à l'acception large du terme, puisqu'elle représente une étape décisive dans l'histoire culturelle des relations entre le texte et l'image : sans s'étendre à la problématique voisine du sujet littéraire dans les expressions plastiques, elle s'arrête à l'objet publié sur un support en papier, qui n'est pas toujours un livre ; la fondation du journal L'Illustration en 1843 en est l'événement type qui marque toute l'importance de ce tournant.

Le sens visuel, aujourd'hui le plus courant du mot illustration, comme « représentation graphique (dessin, figure, image, photographie) généralement exécutée pour être intercalée dans un texte imprimé » n'est apparu que sous la monarchie de Juillet ; auparavant prévalait le sens apparu au début du xvie siècle, mais de nos jours perçu comme vieilli, d'« action de rendre illustre quelqu'un ou de se rendre illustre », ou « personnage illustre » (Trésor de la langue française). En 1835, le dictionnaire de l'Académie ignore encore le mot illustrateur et par là même ne sanctionne pas l'apparition de ce nouveau métier. Elle n'admet illustre, comme illustration et illustrer, que dans le sens de l'homme illustre, « éclatant, célèbre par le mérite, par la noblesse, par quelque chose de louable et d'extraordinaire » ; quatre ans plus tard, dans le complément à ce dictionnaire, le sens moderne est reconnu, puisque illustrer, ce sera « orner de gravures, de dessins un livre ».

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe - crédits : AKG-images

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe

Les dictionnaires ne font qu'entériner les nouveaux sens ou les nouveaux mots, déjà reconnus par la langue courante ou les vocabulaires spécialisés ; pour illustration et sa famille, pris dans le sens moderne, ils indiquent une chronologie très significative : entre 1835 et 1839 s'est bien imposé en France un nouvel « art d'illustration » ; le journalisme, plus proche du langage parlé, et les chroniques bibliographiques avaient utilisé le mot illustration quelques années plus tôt, soit comme un mot de paléographie synonyme d'enluminure, soit comme un anglicisme marqué par des italiques (en 1829, dans la Revue britannique, puis en 1832, à deux reprises, dans les comptes rendus de L'Artiste). En Angleterre, les titres des grands ouvrages illustrés publiés par souscription contenaient depuis la fin du xviiie siècle le mot illustration ou illustrated, dont la véritable fortune est liée à la carrière du premier grand illustrateur de métier, George Cruikshank. De la même manière, en France, le métier d'illustrateur est apparu inséparable de la figure de Tony Johannot qui « est, sans contredit, le roi de l'illustration. Il y a quelques années, un roman, un poème ne pouvait paraître sans une vignette sur bois signée de lui : que d'héroïnes à la taille frêle, au col de cygne, aux cheveux ruisselants, au pied imperceptible il a confiées au papier de Chine ! Combien de truands en guenilles, de chevaliers armés de pied en cap, de tarasques écaillées et griffues il a semés sur les couvertures beurre frais ou jaune serin des romans du Moyen Âge ! Toute la poésie et toute la littérature moderne lui ont passé par les mains ». « Il faut que l'artiste comprenne le poète [...], il ne s'agit pas [...] de copier la réalité comme on la voit [...]. L'illustrateur, qu'on nous permette ce néologisme, qui n'en est presque plus un, ne doit voir qu'avec les yeux d'un autre » : ces deux citations, empruntées à une courte monographie sur Johannot dans les Portraits littéraires de Théophile Gautier (1845), ont nourri les exemples des dictionnaires, du Bescherelle au Robert et au Trésor de la langue française pour illustrateur comme pour illustration.

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Cette mise au point lexicologique permet de dater l'émergence de la notion d'illustration dans la langue, et, à partir de là, dans l'histoire de l'image et dans celle du livre illustré : auparavant dominait l'idée du livre « orné de figures ». Mais peut-on déceler aussi dans les dictionnaires la fin de l'ère de l'illustration ? À vrai dire, le terme n'a pas disparu, il est toujours vivant, mais chargé de nuances péjoratives, ou cantonné dans quelques domaines spécialisés – de nos jours, le livre pour enfants et les couvertures illustrées des magazines ou des livres de poche. Les dictionnaires ne filtrent pas le moment où cette nouvelle nuance de sens s'est imposée : mieux vaut ici invoquer le témoignage des peintres du livre qui, depuis Redon, ont rejeté la dénomination d'illustrateur.

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Écrit par

  • : professeur des universités, membre de l'I.U.F., professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-ouest Nanterre-La Défense
  • : doctorante en histoire de l'art à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Médias

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe - crédits : AKG-images

Les Souffrances du jeune Werther, Goethe

<it>Clarissa Harlowe</it> - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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