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PAYSAGE, peinture

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Le paysage constitue un chapitre extrêmement important bien que discontinu de l'histoire des arts figuratifs et de la littérature. Sa présence se manifeste de façon variable selon les civilisations ; il assume des formes diverses, en rapport direct avec les sujets des œuvres tels que les thèmes religieux, les thèmes historiques ou commémoratifs. On peut certes considérer le paysage comme un « genre », c'est-à-dire une forme d'art particulière liée à une spécialisation technique et iconographique : cela s'est produit plusieurs fois, à l'époque hellénistique avec les peintres topographiques ou topiaires, avec la peinture hollandaise du xviie siècle, ou plus tard encore avec les védutistes du xviiie siècle ; mais il semble plus adéquat d'en étudier les caractères à partir de quelques fonctions permanentes. Le paysage qui n'est pas une production artisanale ne décrit pas en effet l'ambiance naturelle, mais il en fournit une interprétation et procède à un choix (partiel et orienté sous un certain angle, même lorsque le but fixé est de donner une représentation exacte et documentaire de la nature) ; il est constitué par le regroupement significatif d'éléments dont certains sont parfois plus importants (arbres, villes, montagnes, effets atmosphériques). Le style du paysage en Chine, en Hollande et à l'époque romantique, spécifie des genres à l'intérieur même de l'art du paysage ; on ne peut les confondre, pas plus qu'on ne se méprend sur la différence entre un portrait et une image de dévotion.

Complexité d'un genre

Le paysage présente un certain nombre de paradoxes. Premier paradoxe : bien que se trouvant diamétralement opposé aux formes artistiques consacrées au culte religieux (qui sont généralement anthropomorphes), le paysage a réussi dans de nombreux cas à rendre, mieux que toute autre forme d'art, le sentiment religieux, fait à la fois de terreur et d'humilité, expression d'une culture empreinte de scepticisme ; ainsi le paysage succède à l'art sacré et se substitue véritablement à lui (on rencontre une telle substitution en Extrême-Orient, en Occident à l'époque romantique et au xxe siècle avec l'art abstrait né de la théosophie et de mystiques de cet ordre).

Second paradoxe : l'art du paysage est sensible à l'exactitude de l'espace à représenter. Il utilise des instruments optiques, tout au moins au début : perspectives, chambre obscure (camera oscura), modèles construits, études sur la lumière et les reflets, de Léonard de Vinci, analyse des couleurs, de Goethe à Mach ; le paysage constitue alors en raccourci une manière de reproduction scientifique du monde, assumant un caractère de documentaire fidèle et permanent. Mais, en procédant ainsi, il crée à l'intérieur de lui-même une tendance à détruire les limites topographiques, en élargissant jusqu'à une dimension cosmique la vision en profondeur et en étendue, en soulignant la variation de certains éléments (vent, nuages, eaux, brouillards, éclairages inhabituels) : il devient donc une métaphore de l'infini et fait passer le spectateur du plaisir qu'il éprouve à s'évader de son monde habituel ou à revoir ce qu'il connaît déjà à l'inquiétude qui naît du mystère et de l'inconnu. Le paysage procure aussi à la fois un sentiment de sécurité qui est lié à la représentation de l'hortus conclusus et un sentiment de désarroi qui naît de l'absence de limites ; enfin, au cours des dernières décennies, il suscite également l'attirance et l'angoisse de l'informel. C'est déjà Platon qui rapporte la première critique connue où il souligne la fonction imaginaire, et non seulement documentaire, du paysage.

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Dernière observation : le paysage a besoin pour se constituer d'un système assez complexe de corrélations entre divers éléments naturels ou architectoniques et entre des tons, des lumières, des couleurs et des mesures ; il ne se limite pas à une présentation isolée de ces différents éléments. Cela explique pourquoi le paysage apparaît seulement dans des civilisations hautement évoluées, car il exige tout un ensemble de procédés techniques. Il y a, de toute façon, une différence de dimensions, par exemple, entre les arbres et les montagnes, entre les fleuves et les personnages qui, bien que restant modifiables pour des raisons symboliques ou représentatives, doivent cependant être suggérés, d'une manière quelconque, de façon réaliste. Les copies des illustrations de manuscrits grecs que nous possédons montrent précisément dans leurs incohérences dues à des méprises, comment, dans les originaux, ces rapports étaient calculés d'une façon qui ne différait pas de celle des peintres du xve et du xvie siècle, mais qui fut difficile à réaliser pour ceux qui n'avaient pas la même culture ; dans ces illustrations, les copistes réussirent à représenter les éléments pris isolément mais ils ne surent pas suggérer leur relation. Intervient, en outre, le problème de la représentation de la distance qui trouve des solutions, non seulement grâce à la modification des dimensions des objets présentés (plus grands au premier plan, plus petits au fond, à moins que n'interviennent des modifications de caractère symbolique), mais surtout grâce aux atténuations de couleur (en général les teintes sont plus froides et moins saturées pour les lointains), et enfin par l'utilisation d'un point de vue relativement élevé (permettant une perception synthétique du paysage lui-même, comme si on le voyait du haut d'une colline). Ces techniques furent plus ou moins élaborées par les différentes civilisations : elles connurent leur apogée en ce qui concerne la perspective en Europe au xve et au xvie siècle, et en ce qui concerne les techniques de la dégradation chromatique et la création de plans successifs dans l'art oriental et dans l'art européen des xviie et xviiie siècles.

Le paysage est en outre lié à certaines formes de documentation qui acquirent assez vite une dignité et une tradition autonomes : c'est le cas, par exemple, de la cartographie, du dessin d'architecture, des herbiers, de la vue géologique ou urbaine, de l'observation astronomique. Cette documentation a parfois servi de modèle aux paysagistes eux-mêmes ; mais, tout aussi souvent, les peintres ont perfectionné les techniques nécessaires à ces documentations dans les études préparatoires à leurs paysages. Un instrument d'optique, la chambre noire, est né en corrélation avec la peinture de paysage ; on a, de plus, la description assez détaillée de deux demonstrationes qui ont probablement consisté à fabriquer deux boîtes fermées, dont on ne pouvait voir l'intérieur que grâce à un oculaire et dont les éléments étaient en bois peint ; ces boîtes, faites par Leon Battista Alberti, servaient peut-être à enseigner comment réaliser correctement les dégradations de teintes. Ces dégradations dues à l'atmosphère étaient étudiées dans des conditions diamétralement opposées : d'abord dans celles de la lumière diurne (lorsque les couleurs lointaines s'éclaircissent, grâce au filtre que constitue l'air), ensuite dans celles de la lumière nocturne (lorsque les couleurs lointaines s'obscurcissent, par suite de la diminution de la puissance visuelle). Ces expériences ont permis de réaliser, dès la fin du xvie siècle, des dioramas représentant de façon correcte des vues circulaires de 360 degrés, à la fois d'une parfaite exactitude et de grandes dimensions.

Le paysage a servi de point de départ à une recherche spécifique dont les problèmes étaient en partie liés à ceux de l'optique mais conservaient néanmoins un caractère particulier. Cette recherche porte fondamentalement sur trois points : la façon de se placer en contact émotionnel avec la nature ; l'étude des effets particuliers dus à la réfraction du soleil et des ombres et à leur variabilité ; la façon d'articuler la vue en plans successifs, c'est-à-dire selon différents niveaux capables de suggérer un espace tridimensionnel ou un équilibre plus précis dans le domaine de la composition. Pour le premier point, la majeure partie de la bibliographie est surtout orientale. En Occident, on peut cependant faire état de références à la théologie médiévale ; on peut également déceler à partir du xviiie siècle, en Europe, certaines réalisations et doctrines (jardins anglais, théorie du sublime, romantisme, théosophie) qui ont souvent pour origine la lecture de textes orientaux. Quant au deuxième point, nos sources sont les traités d'optique, principalement le Trattato della pittura et les observations systématiques (transformées par la suite en anthologie dans ce traité) de Léonard de Vinci ; ce traité a été étudié pratiquement par tous les paysagistes européens, y compris les impressionnistes, les futuristes et les expressionnistes. En ce qui concerne le troisième point, les belles pages écrites par André Félibien (1619-1695) et inspirées du grand moment du classicisme français apparaissent très utiles, mais sont cependant insuffisantes. En règle générale, le paysage, ainsi que d'autres genres comme le portrait, a donné lieu à des jugements de nature intuitive, rarement à des jugements de nature historique. L'étude des idées et des principes de la composition reste presque complètement à faire.

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Le paysage occidental et le paysage extrême-oriental présentent des différences ayant trait à la chronologie et à la technique, qui rendent impossible une étude comparée ; il existe cependant de nombreuses preuves d'une influence réciproque. Ce fut le cas durant le Moyen Âge à Sienne : cette influence joua peut-être même sur Piero della Francesca (le paysage des collines placé au verso du portrait des ducs de Montefeltro), tandis que l'influence italienne est présente dans les miniatures islamiques. Cette influence réciproque joua également presque certainement dans les vedute (cf. védutistes) avec rochers du Flamand Joachim Patinir (env. 1480-1524) ; elle a eu également un rôle déterminant, à travers les estampes, sur la peinture des impressionnistes et des post-impressionnistes et sur celle des fauves ; elle se manifesta aussi dans une direction opposée, vers l'est à partir du xviie siècle, en subissant des contaminations curieuses de la part d'édifices classiques ou des reconstructions archéologiques. On peut parfaitement objecter à cela la thèse selon laquelle il existerait véritablement entre l'Est et l'Ouest des attitudes spirituelles incompatibles. Ainsi le sens panthéiste de la nature, avec pour conséquence l'attention portée aux mouvements animés (la croissance apparente et le développement des roches, la loi d'organisation interne des arbres, l'importance donnée aux facteurs de mouvement comme les vents, les eaux, les torrents, les cascades), est présent avec autant de force, sinon plus, dans les dessins où Léonard de Vinci représente des orages s'abattant sur les montagnes et les vallées, les trombes d'eau et le développement circulaire des plantes et des feuilles et dans les peintures d'Altdorfer. Des effets atmosphériques, parfois même dynamiques, apparaissent dans l'art baroque et seront repris par les romantiques. On retrouve la même manière d'utiliser des expédients stylistiques, comme les lignes discontinues et les taches, pour suggérer la distance. La véritable différence réside dans l'emploi d'un même matériel – le papier et l'encre – pour la peinture et pour l'écriture en Orient, dans les grandes dimensions des rouleaux horizontaux et dans les compositions très libres. L'identification assez ancienne entre l'écrivain, le poète, le calligraphe et le peintre a facilité aussi l'élaboration d'une rhétorique graphique très riche, qui tient compte des lois optiques et spécialement de la psychologie de la vision, et soutenue par une technique très variée allant du naturalisme à l'abstraction et même à l'art gestuel dans la peinture directement exécutée avec les doigts.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Florence et à la Pennsylvania State University, membre de l'Institute for the Arts and Humanities

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Médias

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