En 2019, lors des Championnats du monde, Simone Biles décroche cinq médailles d'or sur six possibles. Au sol, la gymnaste effectue une ligne comprenant un double salto arrière groupé avec une triple vrille que seuls trois hommes ont réussie en compétition. (L. Griffiths/Getty Images/AFP)

Simone Biles, championne de l'innovation

En 2019, lors des Championnats du monde, Simone Biles décroche cinq médailles d'or sur six possibles. Au sol, la gymnaste effectue une ligne comprenant un double salto arrière groupé avec une triple vrille que seuls trois hommes ont réussie en compétition. (L. Griffiths/Getty Images/AFP)

Simone Biles, championne de l'innovation

En 2019, lors des Championnats du monde, Simone Biles décroche cinq médailles d'or sur six possibles. Au sol, la gymnaste effectue une ligne comprenant un double salto arrière groupé avec une triple vrille que seuls trois hommes ont réussie en compétition. (L. Griffiths/Getty Images/AFP)

Au-delà de ses titres, la star américaine, 24 ans, ne cesse de réinventer son sport. Quatre figures acrobatiques portent son nom dans le code de pointage de la gymnastique. Une audace qui n'est pas toujours récompensée.

9 minutes
ma liste
commenter
réagir

C'est devenu une habitude : poster sur les réseaux sociaux des vidéos qui chamboulent les certitudes. En juin 2020, Simone Biles a ainsi provoqué des frissons aux acrobates spécialistes ou amateurs. Alors que l'Américaine de 23 ans n'avait repris le chemin de son gymnase texan que fin mai, après sept semaines de confinement, elle s'est autorisé une sortie de poutre dans la fosse en double salto arrière groupé avec une triple vrille.

L'ÉQUIPE

Ça paraît compliqué, et ça l'est davantage : une véritable dinguerie ! « On s'amuse avec Simone et c'est super », sourit Cécile Canqueteau, qui entraîne la star aux quatre titres olympiques, depuis octobre 2017, avec son mari Laurent Landi. Inutile d'imaginer que la gymnaste présentera un jour cette folie en compétition officielle. Encore que...

Un privilège rare

Depuis son avènement mondial en 2013, Simone Biles ne cesse d'innover avec des éléments toujours plus complexes. Quatre, pour l'instant, portent désormais son nom. C'est en effet une règle dans la discipline : une nouveauté préalablement soumise au comité technique de la Fédération internationale, puis réussie lors de Championnats du monde, de Jeux Olympiques ou, depuis peu, lors d'une étape de Coupe du monde, entre dans le code de pointage qui régit la gymnastique sous le nom de son auteur. Un privilège rare, même si le catalogue comprend plusieurs milliers d'éléments.

« Simone a tout gagné. Le danger serait qu'elle s'ennuie... Il faut éviter la routine, lui donner des challenges pour qu'elle garde l'envie de venir tous les jours à la salle »

Laurent Landi, l'entraîneur de Simone Biles

Chez les femmes, la diva Svetlana Khorkina reste la plus inventive. Pour répondre à une morphologie atypique dans le milieu (1,65 m pour 47 kg), la Russe avait créé la bagatelle de neuf difficultés, réparties sur les quatre agrès. « Au moins, elle va garder ce record-là », ironise gentiment Cécile Canqueteau. Les autres, Simone Biles les a fracassés. En octobre 2019, l'Américaine a ainsi porté le cumul absolu de médailles mondiales à vingt-cinq, dont dix-neuf en or.

L'ÉQUIPE

Elle a surtout, encore, et doublement, inscrit son patronyme dans la bible gymnique. « Mais je n'ai jamais eu le fantasme de créer des mouvements », insiste l'intéressée. « Simone a tout gagné, constate Laurent Landi. Le danger serait qu'elle s'ennuie... et moi aussi. Il faut éviter la routine, lui donner des challenges pour qu'elle garde l'envie de venir tous les jours à la salle. »

Une incroyable capacité à se repérer dans l'espace

Avant même que Biles ne commence à s'écrire un palmarès, Aimee Boorman avait deviné que la gamine, prise sous son aile à l'âge de 7 ans, aurait besoin de jouer pour que sa motivation ne flanche pas face aux centaines de répétitions nécessaires à l'automatisation d'un mouvement. La technicienne a su s'appuyer sur le petit gabarit de l'apprentie (1,42 m), ses qualités physiques exceptionnelles, principalement sur les membres inférieurs, avec un mélange de légèreté, de puissance et d'explosivité.

Simone Biles bénéficie aussi d'une incroyable capacité à se repérer dans l'espace. Autant d'atouts qui lui ont permis de se composer une palette acrobatique infinie, d'envisager défier la gravité au-delà des plus folles lubies.

En 2013, Simone Biles a validé aux Mondiaux d'Anvers la première figure qui porte son nom : un double salto arrière tendu avec demi-tour réalisé au sol. Une acrobatie qui lui permet notamment de devenir championne olympique en 2016 à Rio. (J. Prévost/L'Équipe)
En 2013, Simone Biles a validé aux Mondiaux d'Anvers la première figure qui porte son nom : un double salto arrière tendu avec demi-tour réalisé au sol. Une acrobatie qui lui permet notamment de devenir championne olympique en 2016 à Rio. (J. Prévost/L'Équipe)

« Le premier "Biles" est en fait l'idée de mon assistant, se souvient Aimee Boorman. Simone réalisait le double salto arrière tendu au sol depuis longtemps, et comme elle aimait tenter de nouvelles choses, il lui a suggéré d'ajouter un demi-tour. » Ce n'était pas forcément le but mais la réception s'effectuant dès lors en avant, cela a soulagé les chevilles de l'adolescente, où se formaient insidieusement des éperons osseux (l'ostéophyte est une excroissance osseuse qui se développe autour d'une articulation dont le cartilage est altéré). « Ça a en effet soulagé les douleurs qu'elle commençait à ressentir », souligne Boorman.

Surtout, l'aisance qu'a très vite démontrée Simone Biles sur cette acrobatie a convaincu son entraîneure d'en planifier la préparation pour la valider sous son nom aux Mondiaux de 2013. « Et vous pouvez voir le sourire qui illumine son visage lorsqu'elle le réussit pour la première fois (à Anvers). Avec un regard qui semble dire : ça y est, j'ai un élément à mon nom ! » Il est devenu sa marque de fabrique. « Une véritable signature, saluera la légendaire Nadia Comaneci lors des Jeux Olympiques de Rio, où Biles décrochera quatre médailles d'or, dont le sol bien sûr. Maintenant, j'espère que Simone va continuer à innover, on en a besoin. » À croire que la Roumaine a glissé ce voeu à l'intéressée, qui a accepté de réinventer son sport.

Deux entraîneurs français

Après une année sabbatique, Simone Biles a ainsi repris le fil de sa carrière avec le couple Landi, puisqu'Aimee Boorman avait accepté un poste en Floride. Les Français, exilés aux États-Unis depuis 2004 et naturalisés américains en 2015, en même temps que Madison Kocian et Alyssa Baumann, deux de leurs protégées, décrochaient l'or mondial, ont été choisis par Biles... qui ne pensait pas forcément qu'ils l'orienteraient vers de nouvelles et périlleuses envolées.

Pourtant, onze mois après le début de leur collaboration, elle s'élançait dans les Mondiaux de Doha en 2018 avec un nouveau saut. « C'est une idée de Laurent, précise son épouse. Simone nous a pris pour des tarés quand on lui a proposé. » L'idée, c'était d'ajouter une demi-vrille à ce qu'elle faisait déjà.

L'appel du saut en rondade flip date de 1982

Parfois, se souvenir du passé aide à mieux saisir les évolutions techniques qui révolutionnent un sport. À l'image de Dick Fosbury au saut en hauteur (1968), la Soviétique Natalia Yurchenko inventa en 1982 un appel du saut en rondade flip qui allait devenir la norme. Cinq ans plus tard, toutes les médaillées mondiales à cet exercice l'avaient imitée.

Mais il fallut patienter jusqu'en 2005 pour que la Chinoise Cheng Fei risque une rondade flip demi-tour avant la pose des mains sur la table de saut et un salto avant avec une vrille et demie. Une voie qu'ont alors empruntée une poignée de spécialistes. Dont Simone Biles qui a donc fini par ajouter 180 degrés pour ponctuer ce saut d'une double vrille.

Simone Biles ponctue son saut d'une double vrille. Une difficulté incroyable qu'elle a réussie en qualifications des Mondiaux 2018, mais elle ne l'a plus retentée ensuite en compétition. (U. Pedersen/CSM/REX/Shutterstock/SIPA)
Simone Biles ponctue son saut d'une double vrille. Une difficulté incroyable qu'elle a réussie en qualifications des Mondiaux 2018, mais elle ne l'a plus retentée ensuite en compétition. (U. Pedersen/CSM/REX/Shutterstock/SIPA)

« Physiquement, c'était une évidence qu'elle en avait le potentiel, mais elle s'était mis en tête que c'était impossible », révèle Cécile Canqueteau. Il faut être un métronome dans la course d'élan, avec un rythme parfait quand on frappe violemment la table, être coordonnée, puissante et précise pour ne pas se désaxer. « Tout le monde s'arrête aux qualités intrinsèques de Simone, mais il faut surtout avoir la tête pour contrôler tout ça, enchérit Laurent Landi. Au-delà de la technique, je dois travailler dur pour la basculer dans sa tête. Elle doit être convaincue pour se libérer. »

Réussi en qualifications des Mondiaux 2018, le saut possède une valeur de 6,4 points. C'est un point de plus que ce que les adversaires de Biles osent ; c'est ce qui a permis à l'Américaine de ne pas prendre de retard quand, en finale individuelle, elle a chuté à cet exercice, ce qui est justement pénalisé d'un point.

« Je travaille différents éléments mais il faut les tester à son rythme. Ne pas tout tenter d'un coup, essayer trop tôt. Il faut attendre le bon moment »

Simone Biles

Est-ce à cause de cette erreur que Simone Biles a depuis remisé ce saut ? Ou parce qu'elle a commencé de peaufiner d'autres difficultés... Les Landi ont toujours prévenu qu'il faudrait être fiable pour les Jeux Olympiques de Tokyo. « Mais d'ici là, on a le temps de jouer. » Et en 2019, ils s'en sont donné à coeur joie ! Lors d'une compétition nationale, la jeune femme a proposé une très jolie ligne acrobatique au sol, se basant sur sa signature (le Biles 1), mais au lieu de la ponctuer par un saut gymnique à l'écart, elle a enchaîné avec un salto avant tendu. Magnifique !

« Je travaille différents éléments mais il faut les tester à son rythme. Ne pas tout tenter d'un coup, essayer trop tôt. Il faut attendre le bon moment », persuade Simone Biles à propos des nouveautés. « C'est un jeu de construction et de confiance », résument ses coaches.

Elle dévoile deux acrobaties d'une complexité inouïe en compétition le même jour

Cette série se révélera un simple amuse-gueule. Le 12 août 2019, en ouverture des Championnats des États-Unis, Simone Biles s'est élancée sur deux acrobaties d'une complexité inouïe qui poussèrent la star à tweeter une photo d'elle rayonnante : « Ce sentiment quand tu fais l'histoire... deux fois. » Mélange de bonheur enfantin, de fierté légitime, qui prouvent qu'elle n'est finalement pas insensible à la création de mouvements.

« Elle voudrait que le nom de sa famille marque positivement l'histoire de son sport », promet Cécile Canqueteau. Mais il fallut patienter jusqu'aux Mondiaux de Stuttgart, donc, pour que ces deux éléments deviennent des « Biles », qu'elle les propose donc au comité technique international pour qu'il leur accorde une valeur en point.

C'est un autre principe : à chaque élément est attribué un niveau. Le plus simple est le A, qui équivaut à un dixième de point, et à chaque lettre, un dixième s'ajoute. Au sol, l'Américaine se risque désormais à un extraordinaire double salto arrière groupé avec une triple vrille que seuls trois hommes ont réussi en compétition. Chez eux, ça s'appelle un Miller, du nom d'un jeune trampoliniste américain, Wayne Miller, qui vrilla le premier cette performance sur une toile dès 1964.

En 2019, Biles propose à la poutre une intrépide sortie en double salto arrière groupé avec une double vrille. Difficulté qui porte son nom mais que la Fédération internationale a sous-cotée, au grand dam de l'Américaine. (Lionel Bonaventure/AFP)
En 2019, Biles propose à la poutre une intrépide sortie en double salto arrière groupé avec une double vrille. Difficulté qui porte son nom mais que la Fédération internationale a sous-cotée, au grand dam de l'Américaine. (Lionel Bonaventure/AFP)

À Stuttgart, l'improbable acrobatie a été logiquement créditée d'un J pour ce « Biles 2 » au sol. Ce qui équivaut à un point, et c'est inédit. Jamais une difficulté n'avait atteint un tel sommet. En revanche, à la poutre, l'intrépide sortie en double salto arrière groupé avec une double vrille ne vaudrait qu'un H, soit la même valeur que cette difficulté réalisée au sol.

En clair, les instances supérieures ont estimé qu'attaquer cette acrobatie depuis un praticable à ressorts ou depuis un morceau de bois ne mesurant que dix centimètres de large, c'était la même chanson. Une hérésie.

« Je crois que la Fédération n'aime pas à quel point je suis en avance. Ils voudraient une compétition plus serrée »

Simone Biles

En l'apprenant, Simone Biles a posté sur Twitter un « bullshit » (connerie en français), révélateur de son exaspération. Les réactions en chaîne ont provoqué un semblant de justification du comité technique. Sauf que leur argument selon lequel la prise de risque serait trop dangereuse à la poutre, et que leur rôle est de limiter cette perspective, est un non-sens. Une manière de tuer l'émotion que créent les innovations quand elles repoussent les limites du corps humain.

Aujourd'hui encore, Simone Biles ne décolère pas : « Est-ce que ce genre de choses me classe à part ? Oui. Mais cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas m'en attribuer le mérite. Ce n'est pas juste. Si une autre gymnaste réalisait cet élément, on lui donnerait probablement la bonne valeur. Je crois que la Fédération n'aime pas à quel point je suis en avance. Ils voudraient une compétition plus serrée. » Après l'avoir tentée en ouverture des Mondiaux, elle a simplifié l'élément dans toutes les finales, estimant que la fatigue rendait l'audace dangereuse.

« L'enjeu est de trouver le bon compromis, l'équilibre entre le contenu technique, la performance pure et l'exécution »

Cécile Canqueteau, coach de Simone Biles

En même temps, ce genre d'anicroche ajoute à son aura. « Nous avons élevé le niveau de Simone à un point tel qu'il semble fou de penser qu'elle pourrait aller plus loin. On va maintenant bosser sur sa fiabilité parce qu'il est presque impossible, humainement, de monter la barre plus haut », prétendait en 2019 Laurent Landi. On peut comprendre le propos. L'originalité est belle, si elle s'avère payante.

« L'enjeu est de trouver le bon compromis, l'équilibre entre le contenu technique, la performance pure et l'exécution », rappelle Cécile Canqueteau. Son mari abonde : « Jusqu'où peut-on la pousser, quelles sont ses limites ? Tous les jours, on essaie de les définir. Physiquement, elle n'en a pas. C'est le mental qui peut la restreindre. À nous d'être réalistes. » Le sont-ils toujours ?

Avant le confinement, une autre vidéo avait affolé les observateurs, où l'on voyait Simone Biles s'exercer sur un saut inédit, un Yurchenko suivi d'un double salto arrière avec corps carpé. Un envol qui atterrissait dans une fosse, mais avec une telle aisance, que le transférer sur un tapis dur n'aurait rien d'utopique.

« C'est parti d'un problème technique, d'une correction que l'on voulait apporter pour qu'elle gagne en amplitude, tempère Cécile Canqueteau. Une fois encore, pour changer d'approches, ne pas rester sur les mêmes bases pédagogiques, et comme on possède une grande et belle fosse, profonde et sécurisante, on s'est dit que les filles n'auraient pas peur de tenter quelque chose de différent pour le fun. »

Trois ou quatre de ses coéquipières à Spring ont réussi. Mais aucune ne peut prétendre le présenter « en vrai ». À l'exception de Simone, dont on imagine bien qu'elle n'osera pas une telle prise de risque aux JO, même reportés d'un an, mais peut-être lors de la Coupe du monde à Tokyo, fin avril. Histoire d'imprimer un peu plus encore de son empreinte ce sport qu'elle a déjà transformé.

Les commentaires sont soumis à des règles de modération. lire la charte
Hades1024 Biles, championne de l'innovation ? Championne des AUT, plutôt !
15
réagir
signaler
5 ans