RAYMOND BOUDON, sociologue, n'emploie pratiquement pas le terme pouvoir dans Effets pervers et ordre social. Son recueil d'articles est, pourtant, une réflexion sur le " non-pouvoir ". Dans ces textes difficiles, mais suffisamment importants pour mériter un effort du lecteur, il montre comment de nombreux phénomènes de transformation, d'oppression ou de conservation dans la société peuvent être expliqués sans supposer l'existence d'un pouvoir occulte : organisations, groupes, systèmes et sous-systèmes idéologiques, classes structurées, machines de contrôle de toute sorte. Une simple addition de décisions individuelles peut produire automatiquement un effet pervers à l'échelle du collectif, c'est-à-dire un résultat qui n'est désiré par personne, mais qui donne l'impression que, quelque part, une volonté malfaisante a agi.
L'effet pervers type, c'est l'inflation, somme de conduites " rationnelles " dont la combinaison empoisonne la vie de tous les membres et de toutes les classes de la société. L'économie est le terrain de chasse par excellence de l'effet pervers. Mais l'effet pervers préféré de Raymond Boudon est la crise des systèmes éducatifs français et occidentaux.
Le maintien des inégalités
L'augmentation générale de la demande d'éducation enclenche, à partir de 1945, un processus de compétition et d'inflation. Le nombre d'étudiants absorbés par l'enseignement supérieur augmente plus vite que la quantité de postes responsables offerts par le système économique. La promotion sociale ne suit plus la promotion intellectuelle. La dévalorisation des diplômes pousse à une surenchère qui prend la forme d'un allongement des scolarités et d'une multiplication des titres, " pour faire la différence ". Les études coûtent de plus en plus cher. Les familles des milieux défavorisés sont bien entendu les premières à céder dans cette course. Ainsi, la démocratisation de l'enseignement se contredit elle-même, engendre un effet pervers.
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