Des journées torrides, suivies de nuits où la température ne fraîchit pas : cette définition de la canicule est encore exacerbée pour les habitants des zones urbaines, qui subissent le phénomène d’îlots de chaleur urbains (ICU).
Qu’est-ce qu’un îlot de chaleur urbain ?
Les températures dans les zones urbaines denses sont plus élevées que dans les zones rurales environnantes, surtout la nuit. Le météorologiste britannique Luke Howard avait dès le début du XIXe siècle observé à Londres un écart allant jusqu’à 3,7 °C entre le centre-ville et la campagne. Les recherches se sont poursuivies au XXe siècle mais c’est l’accélération du changement climatique qui a accru l’intérêt pour l’étude des ICU et les moyens de s’y adapter.
Le décalage entre villes et campagnes peut s’observer en toute saison, mais « on en parle beaucoup pendant la période estivale, car il peut y avoir des différences de 8 à 10 °C la nuit, par exemple entre le cœur de Paris et la grande couronne, explique Sandra Garrigou, chargée de projet plan climat et adaptation à l’Institut Paris Région. En été, cela entraîne des problématiques sanitaires, le corps ne se rafraîchit pas et donc ne récupère pas. »
A quoi cet excès de chaleur dans les villes est-il dû ?
Les causes sont multiples, et liées aux spécificités des éléments d’un environnement urbain :
- la hauteur et la densité du bâti : plus les immeubles sont hauts et serrés, plus ils bloquent le passage du vent et réfléchissent les rayons du soleil, créant un « effet canyon » ;
- les matériaux de construction : la pierre, la brique ou le béton accumulent la chaleur de l’air et les rayons du soleil dans la journée, pour les relâcher la nuit, comme le font les radiateurs à accumulation. C’est aussi le cas pour les sols minéraux ou bitumeux ;
- le déficit de végétalisation : les pelouses, arbustes et plus encore les arbres sont des régulateurs thermiques, à la fois par l’ombre et par les effets de l’évapotranspiration. Les plantes utilisent l’énergie solaire pour extraire l’eau du sol par les racines et la relâcher par évaporation dans l’atmosphère, plutôt que de l’accumuler et de la restituer la nuit. Les rivières ou plans d’eau servent aussi de régulateur thermique ;
- les activités humaines : l’usage de chauffage ou de climatisation (qui rejette de l’air chaud à l’extérieur), la circulation des voitures, les activités industrielles et le traitement des déchets…
En Ile-de-France, un travail de cartographie a été mené par l’Institut Paris Région, à une échelle très fine pour chaque « îlot morphologique » : pâté de maisons, places, parcs…. Différentes bases de données et relevés géographiques ont été croisées pour définir le type d’occupation des sols, la densité et la hauteur du bâti, et définir si ces îlots, selon leurs caractéristiques (grands ensembles, pavillons, tertiaire…), sont susceptibles de générer de la chaleur.
Pour mesurer les risques liés aux ICU, ces approches ont été enrichies d’indicateurs sur la vulnérabilité de la population, comme l’âge (la part des plus de 65 ans ou moins de 5 ans), la présence de maisons de retraite, l’accès aux soins (médecin généraliste, urgences hospitalières) ou la part des ménages à bas revenus. En effet, dans les quartiers aisés, les habitants ont davantage les moyens de quitter la ville lors des épisodes de canicule que ceux résidant dans des quartiers plus modestes.
Quelles villes sont les plus concernées par le phénomène ?
Au niveau national, le projet Mapuce, coordonné par le Centre national de recherches météorologiques (CNRM), a modélisé les effets d’îlot de chaleur dans 42 grandes aires urbaines de France. Les chercheurs ont utilisé un modèle de ville qui maille le territoire en rectangles de 250 mètres de côté et simplifie les formes des rues et des bâtiments, tout en préservant les surfaces (emprise au sol, façade, hauteur).
Le modèle simule ensuite les interactions entre la surface et l’atmosphère et calcule les températures à 2 mètres au-dessus du sol, pour une situation météorologique favorable à un fort îlot de chaleur urbain. « Ce qu’on regarde, c’est la différence entre la ville et la campagne environnante, précise Robert Schoetter, chargé de recherche du développement durable au CNRM. On observe une plage horaire de 4 heures à 6 heures du matin, au moment où l’ICU est le plus fort. »
Des résultats, publiés dans la revue Science of the Total Environment en octobre 2020, font apparaître des inégalités entre les villes françaises. L’agglomération parisienne est de loin la plus exposée au phénomène d’ICU, avec de nombreuses zones où la température est de 4 à 6 °C plus élevée que dans les campagnes franciliennes, et des pics dans les arrondissements centraux de Paris. Mais d’autres grandes villes, comme Lille et Lyon, affichent une intensité maximale supérieure de 4,9 °C et de 4,7 °C.
Les chercheurs ont mis en évidence une corrélation positive très nette entre la taille de la population des aires urbaines et leur capacité à retenir la chaleur. La situation géographique et la proximité immédiate avec le littoral (moins de 10 kilomètres) jouent aussi : les climats montagnards et semi-continentaux favorisent l’intensité des ICU, contrairement aux villes soumises à des climats méditerranéens ou océaniques.
Quelles solutions pour rafraîchir les villes ?
A l’instar des facteurs de vulnérabilité, les solutions peuvent être multiples et leurs effets s’additionner. L’une des solutions est de réintégrer la nature en ville : désimperméabiliser les revêtements, planter des arbres, végétaliser les sols, façades ou toitures (avec des espèces résistantes et adaptées à la chaleur et à l’eau disponible), découvrir les fleuves ou rivières…
Le bâti et l’aménagement urbain sont aussi cruciaux : intégrer le confort d’été dans les critères de construction ou de rénovation, choisir des revêtements clairs ou des toits blancs, qui reflètent la chaleur. A l’échelle des quartiers, s’adapter aux couloirs à vent, construire des fontaines publiques ou des ombrières.
Enfin, pour améliorer le confort des habitants et limiter les risques sanitaires des canicules, d’autres actions peuvent être mises en place : soutenir les personnes âgées et vulnérables, décaler les horaires de travail ou des services publics (piscines ou parcs). « Les outils cartographiques sont des aides à la décision pour les élus, pour comprendre qu’il y a une problématique identifiée dans des zones en particulier », résume Sandra Garrigou, pour qui la lutte contre les ICU « est une question transversale, liée à l’aménagement des villes pour laquelle les élus ont les outils ».
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