ENQUETE Royal Canin (2/6) : "Rien ne justifie, à notre sens, l’emploi du terme "casse sociale"", répond le groupe
Que se passe-t-il à Royal Canin, 1200 salariés, entreprise emblématique du Gard, restée jusqu’à ces dernières années dans le sillon tracé par son fondateur, l’idée géniale que la santé des chiens et des chats commençait dans leur gamelle ? Dans le deuxième épisode de sa grande enquête, "Midi Libre" donne la parole à l’entreprise en crise, ceci alors que, ces dernières années, des cadres ont craqué à l’épreuve du management du groupe américain Mars.
Midi Libre a sollicité une interview de Cédric Malié, directeur de Royal Canin France depuis novembre 2023. L’entretien initialement prévu a été annulé, remplacé par un échange de mails. Les réponses ont été préparées par les services ressources humaines et communication, et sont présentées comme les "réponses de l’entreprise".
Comment va Royal Canin aujourd’hui ?
Nous ne sommes pas satisfaits de nos résultats, même si nous avons commencé à ralentir la décroissance en fin d’année. Notre croissance est plus lente que celle du marché et, dans certains pays, nous allons jusqu’à perdre des parts de marché. Nous sommes confrontés à un contexte externe qui ne nous est pas favorable, avec des concurrents qui n’ont jamais été aussi innovants et rapides, avec une forte présence sur le digital. In fine, nous sommes en décroissance sur les volumes. C’est notamment le cas en France. Cela nous oblige à nous remettre en question. On a la nécessité de réinvestir dans l’innovation, le digital et dans la marque (et montrer en quoi nos produits sont supérieurs). Par ailleurs, nous devons réduire notre complexité. C’est aussi le constat que font nos collaborateurs. Le PSE n’est qu’une partie de la réponse mais nous avons tout un plan pour redynamiser nos activités.
Vous avez détaillé pour Midi Libre, le 25 novembre dernier, le premier PSE de l’histoire de Royal Canin, engagé à l’automne dernier. 100 suppressions de postes ont été annoncées, ainsi que la reconversion de 70 postes, et enfin la création d’une cinquantaine d’emplois. Où en êtes-vous ?
Les chiffres définitifs figurant au futur Accord PSE et lors des consultations ont légèrement évolué. La mise en œuvre de ce projet entraînerait : la suppression de 118 postes, dont 34 sont déjà vacants, la modification de 88 postes emportant des modifications des contrats de travail, dont 5 sont déjà vacants, la création de 84 postes. Nous avons signé lundi 31 mars, à l’unanimité, l’accord PSE avec l’ensemble des organisations syndicales. Le document est dorénavant à la soumission de la validation par la Dreets, la direction régionale de l’emploi.
Elle dispose d’un délai d’acceptation d’une quinzaine de jours et, tant que cela n’a pas été fait, nous ne pouvons pas mettre en œuvre le plan. Nous privilégions dans un premier temps un plan de départ volontaire et espérons ainsi limiter au maximum les départs contraints.
Dans quel climat se sont déroulées les négociations ?
La période est naturellement difficile ; elle suscite beaucoup d’incertitudes et d’inquiétudes mais nous avons échangé de manière constructive.
Pouvez-vous confirmer que seule, l’entité Royal Canin France, et les forces commerciales, sont concernées par ce plan ?
Le plan concerne l’entité France, à l’exception des Centres de service clients logistiques, mais aussi les équipes de notre siège mondial localisé à Aimargues. Les usines ne sont pas impactées.
Un acteur majeur, mais bousculé sur le marché
Longtemps leader du marché de l’alimentation pour chiens et chats, Royal Canin en reste un acteur majeur, bousculé par la concurrence d’autres opérateurs, et de marques distributeur. L’entreprise "ne communique pas de chiffres". Un article publié le 29 novembre 2024 sur le site de Franceinfo fait état d’un chiffre d’affaires d’1,5 milliards d’euros pour Royal Canin en 2023. En France, les ventes d’aliments pour animaux de compagnie "ont atteint 6,1 milliards en 2023", indique l’institut d’études privé Xerfi. "Ces dix dernières années, plusieurs dizaines d’entreprises sont venues concurrencer Royal Canin", explique Franceinfo.
Toujours selon Xerfi, les deux principaux leaders du marché français sont Mars (Royal Canin, Pedigree, Whiskas, etc.) et Nestlé (Friskies, Felix, Purina, etc.) : ils se partagent 67 % du chiffre d’affaires. Le marché mondial est en pleine progression, selon les études de marché de Businesscoot qui prévoit une évolution de 192,51 milliards de dollars en 2024 à 290 milliards en 2029.
Vous aviez également annoncé un plan d’investissement de 35 millions d’euros dans un "pilote industriel", où en est le projet ?
En 2025, nous prévoyons d’investir plus de 50 millions d’euros en France. Le pilote industriel est un des projets sur lequel nous travaillons à Aimargues et qui va renforcer notre ancrage territorial. Nous avons déposé le permis de construire début mars et c’est un projet qui va s’étaler sur trois ans. L’objectif est triple : Tester et déployer de nouvelles recettes innovantes à base de matières premières alternatives, en ce qui concerne les protéines par exemple, accélérer le développement de la circularité des emballages, en explorant des options telles que les mono-matériaux, les matériaux biosourcés, compostables et biodégradables, offrir un espace de collaboration avec des partenaires externes afin de mutualiser les ressources en faveur de solutions durables.
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L’entreprise voit-elle les premiers résultats des efforts engagés pour retrouver un leadership mis à mal par la concurrence, a-t-elle retrouvé la souplesse qui lui fait défaut ?
À ce stade, nous ne pouvons pas dire que nous avons retrouvé de la souplesse. On a la nécessité de réinvestir dans l’innovation, le digital et dans la marque afin de démontrer en quoi nos produits sont supérieurs. Par ailleurs, nous devons réduire notre complexité organisationnelle. C’est le sens que prend notre PSE en cours.
Votre histoire est marquée par une succession d’innovations sur le marché de l’alimentation des chiens et des chats, pouvez-vous me citer quelques-unes de vos dernières "inventions" ?
Notre aliment Royal Canin Gastrointestinal Hydrolysed Protein a remporté le prix de l’innovation lors de l’édition Lyon 2024 de l’AFVAC (Association Française des Vétérinaires pour Animaux de Compagnie). Cet aliment est spécialement formulé pour les chats souffrant de mal digestion et pour la réduction des intolérances à certains ingrédients et nutriments.
En parallèle, nous investissons un nouveau segment avec le lancement des suppléments Royal Canin, des compléments alimentaires pour le confort articulaire, la santé de la peau, le soutien des défenses naturelles et la santé digestive. Enfin, nous avons une ambition forte de décarbonation.
Salaires, conditions de travail… l’entreprise a été reconnue par le passé, et vous avez communiqué sur le sujet, comme une entreprise où il fait "bon vivre". Que disent les derniers rapports sur la qualité de vie au travail ?
Nous conduisons annuellement des enquêtes internes. Et, si nous regardons les résultats ces trois dernières années, ils sont en progrès. À la question suivante : "Êtes-vous satisfait.e de l’environnement de travail de cette entreprise ?" Nous avions un niveau d’engagement de 4,56 / 5 en 2022 quand, en 2023 et 2024, ce chiffre est au-delà de 4,6.
Des témoignages, attestés par la médecine du travail, l’inspection du travail, voire la justice, font état d’une "casse" sociale non négligeable chez Royal Canin. Reconnaissez-vous cette situation ?
Je tiens d’abord à rappeler notre tolérance zéro face à des situations de harcèlement ! Rien ne justifie à notre sens l’emploi du terme "casse sociale". Nous employons plus de 1700 personnes en France et on parle de moins de 10 dossiers pour des faits qui remontent à plusieurs années, antérieurs à 2021. Loin de nous l’idée de dire que nous sommes parfaits mais nous sommes dans une dynamique de progrès. Entre 2023 et 2024, aucun des dossiers présentés n’a été retenu comme maladie professionnelle.
C’est probablement le fruit de toutes les actions que nous mettons en œuvre. Et je réitère qu’aucune situation de mal-être au travail ne doit être laissée sans réponse ! La santé et le bien-être de nos collaborateurs sont notre première priorité et nous allons continuer de tout faire pour améliorer la situation.
Pouvez-vous être plus précis ?
Notre succès passe avant tout par nos collaborateurs que nous appelons des Associés. Nous avons à cœur de leur offrir le meilleur environnement de travail respectueux, inclusif et équitable. En 2022, nous avons modifié les dispositions de notre accord sur la Qualité de Vie au Travail, signé à l’unanimité avec nos partenaires sociaux : engagement de l’entreprise dans une démarche d’évaluation et de prévention des risques psycho-sociaux, les RPS, notamment avec la mise en place d’un comité de pilotage RPS ; implication constante de la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) pour apporter un soutien sur toute question liée au bien-être au travail ; outils de formation sur le bien-être en entreprise ; plateforme d’écoute et de soutien psychologique pour tous nos collaborateurs.
Cet accord offre aux collaborateurs un haut niveau d’autonomie pour organiser leur activité et maintenir l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, comme l’accès facilité au télétravail, le droit à la déconnexion, le don de jours de vacances par l’entreprise pour les collaborateurs rencontrant des difficultés dans leur vie personnelle. Depuis le 1er janvier 2025, est entré en vigueur un nouvel accord sur le télétravail signé à l’unanimité des organisations syndicales pour permettre encore plus de flexibilité dans les modes hybrides du travail.
Nous manageurs sont formés pour soutenir les équipes de manière positive et constructive.
Dans la phase de consultation du PSE, nous avons aussi pris un engagement avec la CSSCT Centrale sur la santé et les conditions de travail des salariés : mise en place d’une analyse des impacts du projet sur la santé des salariés et leurs conditions de travail, notamment en termes de charge de travail et d’évolution du contenu du travail et des interfaces entre services. Un plan d’actions sera construit avec la CSSCT Centrale pour suivre le déploiement de la nouvelle organisation.
Depuis janvier 2025, nous avons engagé une démarche de régulation de la charge de travail accompagnée par l’Aract (Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail) Occitanie.
Vous faites état de contentieux anciens, selon vous, qu’est-ce qui a changé depuis ?
Nous avons renforcé les moyens et actions dédiés à la prévention et en particulier à la prévention des RPS (Risques psychosociaux). Outre les mesures déjà mentionnées précédemment, nous avons également travaillé avec les managers sur ces questions et sur la simplification de notre organisation.
Nos managers sont formés pour soutenir leurs équipes de manière positive et constructive, en accord avec nos valeurs de respect et de dignité.
















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